Petites histoires pour les petits
Il était une fois une fille comme les autres, qui s’appelait Juliette : de taillemoyenne, l’allure élancée, une tête avec une bouche, un nez et deux yeux, bref, de primeabord rien ne la distinguait des autres. Mais approchez-vous, approchez-vous encore, et là,vous remarquez quelque chose de tout à fait particulier : Juliette est une princesse. Et oui,vous ne pouvez pas en douter : elle a ce port élégant sans être hautain, ce regard ouvertsans être inquisiteur, ce je ne sais quoi qui la rend différente, bien qu’elle soit commetoutes les filles de son âge, à la recherche du grand amour, du prince charmant. Hélas, sarecherche à ce jour demeurait vaine ; les garçons de son âge ne manquaient pas, non.Certains étaient mignons, voire même craquants, d’autres sportifs, voire athlétiques etmusclés, d’autres encore sympathiques, voire attachants … mais aucun d’entre euxn’avaient ce je ne sais quoi qui aurait pu combler et ravir Juliette.Aucun d’entre eux … peut-être pas, car en fait il restait dans l’école un seul etunique garçon que Juliette n’avait encore jamais approché, et pour cause : jamais il ne selavait, jamais il ne se coiffait, il portait toujours les mêmes vêtements sales et déchirés. Lesautres se moquaient de lui, mais lui, Thibault, semblait ne pas y prendre garde. Pour toutvous dire, il semblait aussi repoussant à l’intérieur qu’il l’était à l’extérieur.Je ne sais pas qu’elle idée a traversé l’esprit de Juliette ce jour-là ; peut-être un contede fée qu’elle aurait relu la veille, peut-être un rêve dont elle se serait souvenu au petitmatin. Toujours est-il qu’aujourd’hui, Juliette est déterminée à embrasser Thibault sur leslèvres, avec le fol espoir qu’il se transforme en prince charmant. Regardez-la qui traversela cour d’un pas décidé, qui s’approche de Thibault, et là, prenant son courage à deuxmains, avec la gauche elle se pince le nez, avec la droite elle se cache les yeux, elle tendles lèvres … Le garçon, étonné, surpris, répond aux lèvres tendues par un énorme bisouqui résonne à travers toute la cour : « SMAAAAAAAAAAAAACK ! ». Juliette ouvre lesyeux : c’est bien le même Thibault qui est toujours là, la regardant langoureusementderrière ses grandes lèvres tendues. Juliette sursaute et s’enfuit, poursuivit par un immenseéclat de rire moqueur. Quelle catastrophe ! Thibault ne s’est pas transformé en princecharmant, et pourtant, pourtant, quelque chose a changé en lui : il a trouvé ce baiser bienagréable, si agréable qu’il en voudrait un autre, si agréable qu’il est déterminé à tout fairepour qu’il y en ait d’autres. C’est décidé : à partir de cette seconde, Thibault prend soin delui : il se lave, se coiffe, change de vêtements … il s’est même acheté une brosse à dents etdu dentifrice. En quelques jours, il a tellement changé que les garçons ne le reconnaissentplus … et les filles non plus ! Tous les garçons recherchent sa compagnie … et toutes lesfilles aussi ! Enfin, presque toutes … car Juliette, elle, refuse toujours de le regarder ànouveau, et peu lui importe qu’il ait changé : il n’est pas son prince charmant.Passent les jours et le désespoir de Thibault grandit : sa réputation dépassemaintenant le cadre de l’école, et on vient des quatre coins de la ville rechercher sacompagnie. Les garçons le veulent tous pour ami, les filles le veulent toutes pour chéri.Enfin, presque toutes … car Juliette, elle, refuse encore et toujours de s’approcher de lui.Alors, Thibault a une idée : l’anniversaire de Juliette a lieu dans quelques jours, et ils’en va trouver Myrtille, sa meilleure amie :« Que dirais-tu Myrtille, si à son anniversaire, Juliette donnait à chacun de sesinvités une deuxième invitation pour un invité surprise de son choix ? Peut-être cela luipermettrait-il de rencontrer son prince charmant ?- Oui, formidable !- Et que penserais-tu si tous les invités venaient déguisés ? On s’amuserait àdécouvrir qui se cache derrière chaque costume …- Oh oui, tu es génial ! »Et c’est ainsi que Thibault peut se rendre incognito à l’anniversaire de Juliette, quibien sûr, ne l’avait pas invité, et qui ne voulait toujours pas l’approcher.De son côté, Juliette aussi a une bonne idée : le jour de son anniversaire, elle estdehors, devant sa porte, déguisée en mendiante. Elle observe ainsi ses invités qui entrentles uns après les autres, et personne ne s’intéresse à elle, si ce n’est pour lui jeter un regardmoqueur. Personne … enfin presque, car voici une étrange bête élégante comme un princequi s’arrête sur le pas de la porte, la regarde avec attention, et s’approche d’elle.« Je suis invité à l’anniversaire de Juliette : comme tu le vois, nous sommes tousdéguisés. Entre avec moi, tous te croiront déguisée, et tu pourras passer un agréablemoment à rire et à manger.- Avec plaisir, mon prince ! »Juliette n’avait pas reconnu Thibault, comme Thibault n’avait pas reconnu Juliette.En entrant, Thibault-la-Bête et Juliette-la-mendiante découvrent la foule des invités.Une voix s’élève, qui dit :- Mais où est Juliette ?Une voix lui répond :- Elle est certainement déguisée, cherchons-la. »Et voici la foule des invités qui joue à trouver la princesse … sans succès. Trèsvite, ils se lassent, et l’un après l’autre, tous préfèrent s’amuser et en oublientJuliette. Tous … enfin presque, car Thibault, lui, n’a pas renoncé. Et Juliette quil’accompagne et l’observe, se demande pourquoi il persévère tant. Finalement, elleose lui poser la question :- Pourquoi t’obstines-tu tant à chercher Juliette ?- Puis-je te confier un secret ? lui répond Thibault : je suis amoureux de Juliette,depuis le premier baiser qu’elle m’a donné. J’ai beaucoup changé, et malgré cela,elle refuse de me revoir ; c’est pourquoi je viens à son anniversaire ainsi déguisé,afin de pouvoir l’approcher. Peut-être changera-t-elle d’avis à mon sujet, et medonnera-t-elle un nouveau baiser ? je ne comprends pas pourquoi elle me fuittoujours …- Peut-être pour la même raison que tu la cherches toujours : elle a gardé présent lesouvenir de ce premier baiser, qui pour toi fut agréable, mais pour ellecatastrophique …A ces mots, Thibault sentit le désespoir l’envahir, et il fondit en larmes.A ces larmes, Juliette sentit l’espoir l’envahir : elle était sûre maintenant qu’elleavait trouvé son prince charmant.